Février 2014 - Ni Dieu, Ni Maître
Reliquat des mouvements qui avaient secoué le monde occidental à la fin des années soixante, longtemps cette bravade révolutionnaire a sali les murs de la cité. Puis, cette inscription a disparu. Elle s’est effacée d’elle-même. Insensiblement. Devenus caduques, ces mots peints sur le mur avaient perdu leur utilité ; à force de passer devant et de les lire, l'homme s'en était intimement et inconsciemment imprégné.
La formule présentait désormais le risque de s’avérer néfaste pour les progrès de la révolution. Rappeler de manière trop insistante à l’homme qu'il devait s'affranchir de Dieu et de tout maître, pouvait produire une réaction, un effet contraire à celui recherché. Une erreur dans laquelle ne sauraient tomber les révolutionnaires, sbires de Satan et ses émules dans l'art de pervertir.
En effet, le démon n'aime rien tant qu'utiliser cette arme redoutable qui consiste à imprégner l'âme imperceptiblement. Nul ne peut dès lors soupçonner sa présence et son rôle. Son effacement apparent lui permet d'effectuer alors un travail de sape redoutable. Sainte Thérèse d’Avila ne parlait-elle pas de son action comme « d’une lime sourde » qui attaque l’âme ?
Ni Dieu, ni maître. L'homme moderne est son propre Dieu et maître.
Les progrès techniques l’ont renforcé dans cette idée. Il s'affranchit de toute règle et de toute loi : n'est-il pas devenu lui-même, après tout, celui qui décide en dernier ressort du bien et du mal ? Les distorsions opérées contre la morale ces dix dernières années, particulièrement en raison de l'usage effréné et incontrôlé de l'Internet, nous fournissent une illustration tristement éclatante de cette confusion.
Démiurge au pouvoir illimité, notre petit homme satisfait de son personnage se prend pour un surhomme sorti tout droit des élucubrations de Nietzsche et, à travers blogs et forums, fait part au monde émerveillé - du moins le pense-t-il ! - des dernières découvertes de son esprit génial. Il a un avis sur tout, juge de tout, se permet tout. Le monde ne peut se passer de lui et de sa pensée toujours trop méconnue et insuffisamment respectée. Habituellement son génie se répand en imprécations sur son prochain ou en condamnations sans appel. Le ton est d'autant plus péremptoire qu'il ne connaît ni les tenants ni les aboutissants de la cause, mais peut lui en chaut. Moderne monsieur Jourdain, il plastronne et se pavane, provoquant le rire inextinguible de l’assistance incrédule qui le contemple avec commisération.
Pas un instant il ne lui vient à l'esprit qu'il manque gravement à la charité. Il se meut dans un autre monde : le sien. Il s'y complaît avec une satisfaction évidente et grotesque qui lui fait perdre jusqu'au sens du ridicule.
Or, cette illusion est mortifère en tant qu’elle supprime chez l'homme toute référence à un ordre qui lui est supérieur, blessant ainsi mortellement sa victime. Il est donc grand temps que l'homme contemporain prenne conscience de sa dépendance : bien plus qu’avant, il est extrêmement tributaire de son environnement.
Et cette prise de conscience ne doit pas se limiter aux constats du quotidien technique, lorsque l'électricité fait défaut, par exemple, ou lorsque le véhicule tombe en panne en raison d'une défectuosité électronique mineure. Non : plus largement, il est temps de revenir à l'ordre des choses, à ne plus croire que les progrès du monde moderne nous ont donné un pouvoir moral illimité. Bien au contraire, ces progrès sans lesquels nous ne pourrions plus vivre ont affaibli notre nature et nous avons d'autant plus besoin de règles pour nous soutenir, et particulièrement de règles morales.
L'homme n'est fidèle à sa vocation que lorsqu'il reconnaît son Dieu et suit les maîtres qu'Il lui donne pour parvenir à Lui.
Ni Dieu, ni maître, cette revendication moderne, véritable fond de commerce de notre époque, a rendu l'homme infirme et fait de lui un handicapé de la vie, s'étant attaqué à l'essence de l'homme qui est d'abord d’être un fils.
S’affranchir de la tutelle de Dieu et du maître n’est rien d’autre que le refus de l'ordre de la paternité et réduit l'homme à n'être plus qu'un vil animal enchaîné à ses passions. Un être qui ne dépend plus de personne ni de rien, un zombie qui a perdu son âme et qui devient un être malléable, placé à la merci de ceux qui préparent à Satan le règne que ce dernier désire depuis si longtemps.
Mais la réalité établie par Dieu demeurera toujours, aussi notre espérance est-elle intacte car :
"L'ouvrage des méchants demeure périssable,
Les idoles d'argent qu'ils se sont élevés
S'écrouleront un jour sur leur base de sable
Et la nuit tombera sur leurs formes rêvées."
In Christo sacerdote et Maria.
Abbé le Roux